Française d’origine cap-verdienne, Élisabeth MORENO a été ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Elle vient de rejoindre Ring Capital, fonds d’investissement dédié aux jeunes pousses africaines, et s’implique pour le développement de l’Afrique francophone. Entretien.
AfricaPresse.paris (APP) – Quelles sont aujourd’hui vos nouvelles responsabilités ?
Élisabeth MORENO – J’ai rejoint en mars dernier Ring Capital et je suis Présidente du Conseil d’administration de Ring Africa, qui vient de créer un fonds d’investissement à impact social et environnemental pour l’Afrique francophone, là où il y a le plus de croissance depuis dix ans. Car l’Afrique est un continent avec un potentiel colossal, mais où les fonds ont parfois du mal à arriver.
Ring Africa est un fonds d’investissement dédié aux jeunes pousses africaines et doté d’une enveloppe initiale de 50 millions d’euros.
Mais j’ai également d’autres casquettes : je suis présidente de la fondation Femmes@numérique. Et j’ai aussi créé une association qui s’appelle « La Puissance du Lien », car j’ai l’impression que, dans notre pays, nous n’avons jamais eu autant de fractures et de divisions à un moment où nous avons plus que jamais besoin d’avancer groupés et solidaires.
APP – Question directe et pragmatique : qu’est-ce qui marche bien aujourd’hui en Afrique ? Car on parle trop souvent, ici et là, exclusivement de ce qui ne va pas…
Élisabeth MORENO – Disons d’abord que la créativité, l’inventivité, les innovations qu’on voit aujourd’hui sur le continent africain sont absolument fascinantes. Je suis bien placée pour savoir qu’à la source de l’entrepreneuriat il y a un besoin – un besoin de produits et de services – et aujourd’hui l’Afrique comme tous les pays du monde est engagée dans une transition environnementale extrêmement complexe. Or, des solutions émergent sur le Continent pour traiter aussi bien les problèmes de l’eau, de la santé ou de l’énergie, etc., et qui sont résolument créatives.
Aussi, je pense que l’on vit à une époque où les relations Nord-Sud vont probablement changer et peut-être s’orienter Sud-Nord, car il y a des choses à apprendre de l’Afrique. Il y a une manière de faire sur le Continent qui est de plus en plus partenariale avec des acteurs du Sud. Il ne faut absolument pas se replier sur les problématiques auxquelles nous sommes collectivement confrontés.
APP – Quel est précisément le rôle de l’entrepreneuriat sur le Continent ?
Élisabeth MORENO – L’entrepreneuriat, c’est chercher des solutions, des produits et des services pour répondre à des problématiques. Or l’Afrique est l’un des continents au monde qui est le plus dynamique et le plus florissant, car tout y est à construire.
L’agriculture, comme la santé, l’éducation ou la formation ont besoin de la Tech. Les idées et les projets sont nombreux, mais nous savons aussi que les besoins de capitaux, notamment pour l’économie informelle portée par les femmes et les jeunes, sont énormes. C’est pourquoi nous avons décidé de nous y intéresser avec Ring Capital, créé par Nicolas Celier, dont l’objectif est d’investir et de miser sur des entrepreneurs qui créent des solutions à des problèmes sociaux ou environnementaux.
APP – Vous vous inquiétez à juste titre du peu d’Africains qui ont aujourd’hui accès à l’eau, à l’électricité et aux technologies. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?
Élisabeth MORENO – Bien volontiers, car je viens d’en parler dans un panel intitulé : « Transition climatique et potentiel énergétique en Afrique ». Et ces données sont extrêmement parlantes. Sur une population globale de 1,4 milliard d’habitants, aujourd’hui 600 millions d’Africains seulement ont accès à l’électricité.
Alors que tout le monde parle d’un boom technologique et d’une « Quatrième Révolution » technologique qui peut accélérer le développement du Continent, quelque 900 millions d’Africains n’ont aucun accès à ces technologies modernes !
APP – Comment essayer d’y remédier ?
Élisabeth MORENO – Je pense qu’il est extrêmement important de produire et développer sur le Continent. Et pour cela, il faut s’appuyer sur cette démographie extrêmement dynamique. Le Premier ministre du Gabon nous l’a clairement dit lors de la séance d’ouverture de ce Forum : « La démographie africaine fait peur aux Occidentaux ! ». Mais sans démographie, on ne peut pas développer son pays, c’est une évidence. Et quand le Président de la République française parle de « réarmement démographique », c’est bien parce que l’Europe est vieillissante… Or, avec une Europe vieillissante, on ne peut rien faire et on ne peut pas construire l’Europe de demain.
APP – Un autre chiffre, que personne d’ailleurs ne connaît avec exactitude, est également inquiétant pour nos deux continents : celui de ces dizaines de milliers d’Africains qui traversent la Méditerrané au risque de leur vie…
Élisabeth MORENO – Il faut arrêter cette immigration du désespoir ! Je le dis très clairement : il n’y a pas d’êtres humains qui, en ayant la possibilité de vivre heureux, épanoui, en dignité, en ayant un travail et la possibilité de fonder une famille et de vivre correctement, pas une personne dans ce cas là n’a envie de quitter tout cela pour prendre des radeaux de misère, traverser la Méditerrané pour arriver sur un continent où ils savent que l’on ne veut pas d’eux. Avec le risque d’être repris et renvoyés… quand, du moins, ils arrivent à bon port !
APP – Comment arrêter cette hémorragie qui nuit à l’Afrique ?
Élisabeth MORENO – Si l’on donne de l’espoir à cette jeunesse et si l’on permet à tous ces jeunes Africains de rêver, d’avoir du travail et de vivre mieux sur place, ils ne partiront pas. Et ils participeront à la construction de l’Afrique de demain, tout comme les diasporas ont envie aujourd’hui de le faire.
On a de plus en plus de membres des diasporas africaines qui viennent des États-Unis, d’Europe ou d’Asie et qui ont envie de participer à cette construction de l’Afrique de demain. Je crois qu’il faut plus que jamais compter sur notre jeunesse. C’est elle qui me motive.